L’effondrement en 2015 du marché de gros de l’électricité met sous pression le modèle économique de nos centrales alors que jamais il n’a été autant nécessaire de valoriser et de développer l’utilisation de notre principale ressource d’énergie primaire : l’hydroélectricité.
Pour compenser le non renouvellement du parc de centrales nucléaires suisses, la stratégie énergétique du Conseil fédéral compte en particulier sur une augmentation d’ici 2050 d’au moins 10 % de la production électricité d’origine hydraulique qui a été de 39,3 TWh en 2014. Or cette stratégie est menacée par les conditions actuelles du marché qui met à mal les bilans de nos producteurs d’électricité et les poussent à vendre des actifs, c’est-à-dire leurs centrales hydroélectriques, pour réduire leur endettement. A cela s’ajoute l’incertitude liée à l’échéance proche des concessions d’exploitation et aux conditions de leur renouvellement ; il faut en effet savoir que le montant de la redevance hydraulique, que les producteurs doivent verser aux cantons, peut actuellement représenter jusqu’à un tiers du coût du kWh produit. Donc non seulement il faudra augmenter la production de 10 % mais surtout il faut moderniser les quelques 15 GW de capacité existante. C’est exactement là que le SCCER-SoE intervient.
Le soleil brille à midi
Deux raisons sont à l’origine de la menace liée au marché de gros de l’électricité :
- La première tient au prix actuellement extrêmement bas de l’électricité, environ 0.03 € du kWh, qui ne couvre pas les coûts de revient de notre courant hydraulique qui peut être plus du double. Ce prix très bas tient à une offre surabondante qui s’explique par la conjoncture économique morose de ces dernières années et donc une faible demande d’électricité en Europe. Par ailleurs, il y a pléthore de charbon qui n’est pas compensée par le prix extrêmement bas des certificats d’émission de CO2, environ 5 € la tonne de CO2 ; ces droits d’émission ayant été trop généreusement alloués pour justement éviter de pénaliser les industries européennes en période de crise économique !
- La deuxième raison tient aux développements subventionnés des capacités en électricité éolienne et photovoltaïque qui ont modifié les conditions du négoce journalier (intraday trading) puisque le fameux pic de midi de la demande qui profitait tant à nos centrales à accumulations a été effacé par la production solaire ; et oui le soleil brille à midi.
L’opportunité
Cependant, la nature intermittente de la production d’électricité d’origine éolienne et solaire requiert de la part du réseau des capacités de réglage pour compenser la différence entre l’offre et la demande à courte terme. Nos centrales hydroélectriques actuelles après modernisation pourraient être à même de remplir cela de manière efficace et ceci sans émettre de gaz à effets de serre à la différence de centrales à gaz. C’est certainement là une opportunité future si un marché de capacité de réglage se met en place mais qui nécessitera des adaptations technologiques des aménagements hydroélectriques et, donc, des investissements supplémentaires.
Les défis
On aperçoit là l’ampleur des défis que la branche hydroélectrique doit relever mais aussi l’opportunité de contribuer au développement des autres sources d’énergie renouvelable. Ainsi, au-delà des changements climatiques prévisibles qui influencent la répartition et la nature des apports hydrauliques et, donc, affectent directement les conditions d’exploitations des centrales hydroélectriques, il s’agit de s’adapter à un contexte économique volatil dans la perspective de nombreuses concessions qui viennent à échéance. Mais au-delà de ce contexte économique, les aménagements hydroélectriques doivent être adaptés pour minimiser leurs impacts environnementaux et dans tous les cas se conformer aux conditions imposées par la dernière révision de la loi fédérale sur la protection des eaux (LEaux). Pour faire face à la complexité de ce contexte, le pôle de compétence SCCER-SoE a identifié cinq points clés déterminants pour sa deuxième phase de projet.
Il s’agira en effet
- d’élaborer des spécifications concernant à la fois l’infrastructure des aménagements hydroélectriques et leur exploitation dans l’optique d’améliorer leur flexibilité,
- de prendre en compte l’influence des changements climatiques sur la ressource hydraulique pour définir des stratégies de rénovation des aménagements,
- de maîtriser les conséquences environnementales associées aux évènements naturels extrêmes et aux nouvelles conditions d’exploitation des centrales, par exemple celles liées aux variations rapides de débit dans le respect de LEaux,
- de développer des méthodologies de conception tenant compte des aléas inhérents à la conjoncture et enfin
- de gérer la sédimentation dans les réservoirs d’accumulation permettant une gestion durable des aménagements à accumulation.
Ainsi, dans la deuxième phase du SCCER-SoE les chercheurs des hautes écoles et les offices fédéraux en s’associant aux partenaires de la branche hydroélectrique joindront leurs moyens et compétences dans un effort de recherche intense et intégré pour développer des modèles numériques applicables aux différents aspects de l’exploitation des aménagements hydroélectriques. Ces modèles iront par exemple de la prédiction à plus ou moins longs termes de la disponibilité de la ressource hydraulique jusqu’à la simulation de l’érosion par les sédiments des composants d’une turbine pour anticiper les travaux de maintenance. De plus, un portefeuille d’innovations est en cours de développement pour atteindre le niveau de maturité technologique le plus élevé possible. La deuxième phase de projet prévoit, en outre, la mise en place de démonstrateurs que ce soit pour la rénovation et la gestion d’un ensemble de plus de 20 centrales de petite puissance unitaire, ou l’implémentation des stratégies de rénovation d’aménagements existants répondants aux objectifs déjà cités, par exemple le projet FLEXSTOR en partenariat avec KWO (lisez le SCCER-SoE Newsletter 1 / 2016 pour en savoir plus sur ce projet).
Consensus politique
Certainement la mobilisation des capacités scientifiques au sein du SCCER-SoE permettront d’atteindre les objectifs techniques fixés mais il est impératif qu’un consensus politique s’établissent entre les collectivités concessionnaires, cantons et / ou communes pour négocier avec les exploitants des conditions juridiques et économiques pérennes de la branche, notamment les modalités des redevances hydrauliques. C’est à ce prix que l’on atteindra l’objectif ambitieux du Conseil fédéral.
François Avellan, directeur adjoint du SCCER-SoE etprofesseur de machines hydrauliques à l‘Institut de Génie Mécanique de l‘EPF Lausanne
Image: Kraftwerke Oberhasli AG
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