Visite de chantier au nouveau parc éolien de Sainte-Croix (VD)

Fin août 2023, le parc éolien de Sainte-Croix, dans le Nord vaudois, sera prêt à produire de l’électricité après 25 ans de planification. 22 millions de kWh devraient être produits chaque année. Ils couvrent la consommation d’électricité d’environ 20 000 personnes, ce qui correspond à la totalité des besoins annuels en électricité de la commune de Sainte-Croix et de ses sites industriels.

Romande Energie a investi environ 42 millions de francs dans ce projet. Une somme qui comprend six éoliennes réparties sur deux sites, La Gittaz-Dessous et Mont-des-Cerfs. Energeiaplus a visité le nouveau parc éolien peu avant la fin des travaux de montage.

Gare de Sainte-Croix: en descendant du train à cet endroit, on peut apercevoir les mâts blancs dépasser au loin au-dessus des arbres. Les pales des deux premières machines achevées tournent déjà dans le vent. A plus de 1200 mètres – non loin de la frontière française – à proximité du hameau de La Gittaz – les derniers travaux de construction du parc éolien de Sainte-Croix sont en cours.

Il a fallu beaucoup de temps pour que les premiers engins de chantier puissent entrer en action à Sainte-Croix. Mais les choses avancent maintenant rapidement, les six éoliennes du fabricant „Enercon„, d’une hauteur de mat de près de 100 mètres, devraient être totalement montées dès la fin août 2023. Après le câblage, le raccordement électrique et la phase de test, elles seront normalement opérationnelles fin novembre.

Lors de notre visite, les pales de la troisième éolienne sont en train d’être livrées et préparées pour le montage.  Une pale de rotor – composée de résine époxy – mesure 41 mètres de long et pèse 9 tonnes. La grue rouge qui se tient prête pour le montage est donc énorme. Tandis qu’un collaborateur prépare l’amarrage dans le moyeu de l’éolienne à 100 mètres de hauteur, d’autres collaborateurs déchargent du matériel des camions qui font des allers-retours incessants.

Une des trois pales de rotor. Image: OFEN

Florence Schmidt, chef de projet, nous explique que les trois pales seront assemblées sur le rotor au sol, puis hissées au sommet du mât éolien par une énorme grue sur chenilles dotée d’une flèche de 120 mètres de long. La construction a débuté en octobre 2021 par différents travaux préparatoires, notamment la mise en place des fondations. La livraison des éléments en béton pour le tiers inférieur du mât et le montage des éléments massifs en acier pour la partie supérieure ont ensuite eu lieu en mai 2023. Ainsi, après une longue période de planification, la phase de construction effective a duré à peine deux ans.

Pendant que Florence Schmidt nous fait visiter le chantier, elle souligne l’importance de cette étape pour Romande Energie. L’entreprise énergétique s’est fixée pour objectif d’être la première entreprise à décarboniser la Suisse romande.

Quels sont les défis de ce projet ? Quelles sont les expériences de l’entreprise ? Energeiaplus a posé ces questions à Florence Schmidt. Nous avons profité de cette visite pour en savoir plus sur les défis et les expériences du projet de Sainte-Croix, désormais presque achevé.

Energeiaplus: Madame Schmidt, 25 ans après la première étude de faisabilité vous prévoyez d’achever les travaux de construction à Sainte-Croix cette année. Au printemps 2021, le Tribunal fédéral avait donné son feu vert au parc éolien : tout s’est-il déroulé comme prévu avec les travaux de construction ?

Florence Schmidt: La décision du Tribunal fédéral était accompagnée de conditions qui, une fois validées par le Canton, nous a permis de rapidement démarrer le chantier encore en automne 2021, la période étant idéale pour les premières étapes de travaux de génie civil. Le 13 octobre marquait le premier jour du chantier à Sainte-Croix : l’équipe entamait les travaux de préparation du terrain suite aux séances d’information aux habitants du hameau de la Gittaz et de Sainte-Croix les jours précédents. Cette période a été marquée par beaucoup d’émotions, tant pour les équipes que pour la population. Malgré quelques actions d’une poignée d’opposants virulents, le chantier a pu avancer dans les temps.

Florence Schmidt est chef de projet du parc éolien de Sainte-Croix pour Romande Energie. Image: OFEN

Est-il normal, en comparaison internationale et nationale, qu’il faille 25 ans pour mettre en œuvre un tel projet ?

En Suisse, les parcs éoliens peuvent uniquement être construits après avoir suivi un processus administratif et démocratique : la Confédération identifie des sites propices à l’éolien, et le Canton sélectionne les sites éoliens dans son plan d’affectation cantonal.  Comme l’implantation d’un parc est à la croisée de nombreux domaines, l’obtention de l’ensemble des autorisations communales, cantonales et fédérales sont longues. Les préoccupations de la population et des communes concernées sont prises en compte. Notre démocratie directe autorise des recours à presque chaque étape du projet, ce qui le ralentit fortement. Le cas de Sainte-Croix est extrême.

Au printemps 2023, le Conseil fédéral a annoncé vouloir accélérer les démarches, notamment en rationalisant les procédures d’autorisation et de recours. Cette décision est une très bonne nouvelle pour le développement de l’éolien mais également pour accélérer la nécessaire transition énergétique suisse.

Le parc éolien produira environ 22 millions de kWh par an et la mise en service du parc à Sainte-Croix est prévue pour courant novembre 2023. Quelle est la dimension du parc éolien en comparaison nationale et internationale ?

En comparaison nationale, la production du parc éolien à Sainte-Croix est supérieure aux
20 GWh demandés par la Confédération, ce qui en fait un projet d’intérêt national. Il est dans la moyenne supérieure. En effet, dès sa mise en service, ces 6 éoliennes représenteront plus de 13% de la production éolienne nationale.

En comparaison internationale, la Suisse est un très petit producteur d’énergie éolienne. En 2021, 15 pays européens couvraient plus de 10% de leur consommation d’électricité grâce à leurs parcs éoliens, alors qu’en Suisse cette énergie couvre pour le moment 0.2%.

Quels étaient les critères de choix du site ?

Tout d’abord, les propriétaires fonciers et la Municipalité étaient favorables à l’implantation d’un parc éolien.
Techniquement, le site retenu est reconnu par les autorités publiques comme ayant un potentiel éolien indéniable. De plus, l’accès au site, et le raccordement au réseau électrique étaient compatibles avec le futur parc.
Et enfin, les conditions environnementales permettaient une implantation du parc avec un impact modéré. Un rapport d’impact sur l’environnement a été validé par les autorités cantonales et fédérales.

Quels étaient les critères concernant les habitations les plus proches ?

Le projet respecte toutes les normes acoustiques émises par l’Ordonnance sur la protection contre le bruit (OPB). Ces normes varient en fonction de la sensibilité des zones concernées (zone industrielle, zone d’habitation, etc.). À Sainte-Croix, il y a 2 types de zones à proximité du projet : les zones 2 (très silencieuses) et les zones 3 (standard villes, villages, zones agricoles).

L’éolienne la plus proche du village sera à vol d’oiseau à 1’300m du centre du village, 322m de la première habitation (le long de la route de la Gittaz), en contrebas du projet et à 640m du premier quartier d’habitations.

L’étude acoustique se base sur plusieurs paramètres en particulier la proximité, la topographie, des obstacles tels que la végétation, l’orientation des bâtiments et les caractéristiques techniques propres à chaque éolienne et à chaque fabricant.

Que fait-on pour intégrer le mieux possible dans le paysage les éoliennes et les harmoniser avec la nature environnante ?

Romande Energie respecte dans tous ses projets la Loi fédérale sur la protection de la nature et du paysage (LPN). Nous sommes convaincus que l’installation de parcs éoliens ne peut se faire qu’en étroite collaboration avec les acteurs locaux de la gestion du territoire et dans le respect des riverains, du paysage et de la biodiversité. C’est pourquoi Romande Energie a mis en place un comité de suivi environnemental dès le début du projet et vise à être exemplaire sur cet aspect environnemental.

Le comité est composé de représentants du Canton, des communes de Sainte-Croix et de Baulmes et des associations Pro Natura et BirdLife. Le comité se réunit régulièrement pour analyser les mesures prises et celles à venir, parmi lesquelles :

• L’implantation d’enclos de reboisement.
• La restauration d’anciens murs en pierre sèche
• La mise sous terre des lignes électriques des hameaux de la Gittaz
• L’adaptation des périodes de chantier aux cycles de reproduction des oiseaux et l’arrêt des éoliennes lors des pics migratoires

Comment gérez-vous la résistance de la part de la population ? Est-ce qu’il y en a encore ?

L’un des trois axes fondamentaux de ce projet est le dialogue et la transparence avec toutes les parties prenantes. Nous avons organisé plusieurs séances d’information en présence de tous les experts, lors desquelles les riverains pouvaient nous faire part de leurs questions et craintes. Nous savons que la question de l’éolien est très émotionnelle et avons toujours respecté les avis divergents. Malgré un démarrage de chantier marqué par des actions virulentes, la cohabitation est désormais bonne. Le contexte énergétique y a sans doute participé, mais plusieurs personnes nous ont confié qu’elles pouvaient accepter ce projet, après avoir vu avec quel soin il est mis en place. Lors de la dernière séance d’information, plusieurs habitants nous ont même applaudis !

J’imagine qu’il y a eu des moments où Romande Energie a pensé à abandonner le projet. Pourquoi a-t-on continué à s’y investir ?

Romande Energie s’est fixé pour mission de faire de la Suisse romande la première région décarbonée de Suisse, contribuant ainsi à un monde durable. Nous sommes persuadés de la nécessité d’accélérer la transition énergétique en produisant davantage d’énergies renouvelables.

L’avantage principal de l’énergie éolienne est sa complémentarité avec les autres modes de production disponibles en Suisse. En effet, c’est durant l’hiver, quand les énergies solaire et hydraulique sont au plus bas, qu’une éolienne produit le plus de courant. L’hiver est aussi la période de l’année durant laquelle la Suisse doit s’approvisionner à l’étranger pour couvrir ses besoins en électricité. Il est donc nécessaire de développer cette production pour sortir des énergies fossiles étrangères, assurer ainsi un approvisionnement fiable, local, renouvelable et ainsi augmenter notre indépendance énergétique.

Quels enseignements tirez-vous du projet de Sainte-Croix?

Notre expérience de ce projet démontre que notre ténacité et notre endurance ont eu gain de cause ! Mais également et surtout, que dialogue, transparence et explications quant à la nécessité d’augmenter notre production d’énergie renouvelable est recevable. A cela s’ajoute la tenue du chantier, le respect de la population, des riverains et de la nature avec les nombreuses mesures compensatoires qui en font un chantier que l’on espère exemplaire.

Quels ont été les plus gros défis logistiques pour ce parc?

L’altitude (ndlr : le parc se situe à 1200m). Les périodes hivernales ayant été clémentes, nous en avons profité pour finaliser des travaux de génie civil et préparer le raccordement électrique du parc. Ensuite, et compte tenu de l’emplacement, l’acheminement des nombreuses pièces détachées des éoliennes, une cinquantaine de camions par éolienne a nécessité minutie et l’expertise des chauffeurs. Sans oublier les grues qui, à elles seules, représentent une quarantaine de camions !

La vue des éoliennes depuis la perspective de Sainte Croix. Image: OFEN

Sainte-Croix fera bientôt partie des rares projets éoliens achevés en Suisse. De nombreux autres projets qui sont toutefois encore en cours de planification devraient bientôt voir le jour. Saskia Bourgeois Stöckli, spécialiste en énergie renouvelable à l’office fédéral de l‘ énergie (OFEN) explique à Energeiaplus l’importance de l’énergie éolienne pour la Suisse.

Energeiaplus: Est-ce que Romande Energie a d’autres projets éoliens dans le pipeline?

Saskia Bourgeois Stöckli: Nous développons un projet de parc éolien à Provence, en collaboration avec ewz. Les études de faisabilité nous permettent d’envisager l’installation de 17 éoliennes pour une production annuelle estimée à  100 millions de kilowattheures.

Quelle est l’importance du projet de Sainte-Croix pour la réalisation d’installations éoliennes en Suisse ?

Le parc éolien de Sainte-Croix est le premier parc éolien à être réalisé dans le canton de Vaud. Il s’agit donc d’une étape importante, car le canton de Vaud est l’un des cantons qui dispose d’un très grand potentiel éolien. Le canton de Vaud s’est engagé très tôt en faveur de l’utilisation de l’énergie éolienne et a été l’un des premiers cantons à délimiter des zones propices à l’énergie éolienne. Cela a permis aux développeurs de projets d’obtenir une certaine sécurité de planification et certains projets ont été lancés. En ce sens, le canton de Vaud représente certainement un modèle pour d’autres cantons.

L’arrêt positif du Tribunal fédéral pour la construction du parc éolien de Sainte-Croix au printemps 2021 fait partie d’une série de cinq autres arrêts positifs du Tribunal fédéral rendus en 2021 et 2022. Quatre de ces cinq projets sont situés dans le canton de Vaud – aucun jugement négatif n’a d’ailleurs été rendu durant cette période.

Il faut espérer que d’autres parcs éoliens, actuellement en phase de planification et d’autorisation, pourront profiter de l’expérience du canton de Vaud et qu’ils pourront alors, espérons-le, être mis en œuvre plus rapidement.

Saskia Bourgeois Stöckli est spécialiste dans le domaine de l’énergie éolienne à l’OFEN. Image: OFEN

Où en sommes-nous globalement en matière de développement de l’énergie éolienne ?

La Suisse n’en est malheureusement qu’au début. Avec le parc éolien de Sainte-Croix, nous disposons actuellement de 47 grandes éoliennes. La puissance installée est actuellement d’environ 100 MW. Dans le Bade-Wurtemberg, dont la superficie et la topographie sont comparables à celles de la Suisse, plus de 750 grandes éoliennes sont déjà installées, pour une puissance d’environ 1 750 MW.

Selon la stratégie énergétique 2050, 4,3 TWh d’électricité devraient être produits en Suisse d’ici 2050 grâce à l’énergie éolienne. Les progrès technologiques des installations éoliennes ont été énormes au cours des dix dernières années. Il y a 10 ans, il aurait fallu plus de 1000 éoliennes pour produire 4,3 TWh par an. Aujourd’hui, il n’en faut plus que la moitié.

La Suisse va-t’elle atteindre les objectifs de construction?

Il y a actuellement quelques projets en Suisse qui sont déjà bien avancés dans la procédure de planification et d’autorisation. Mais les procédures restent longues et complexes. Comparé à l’étranger, les possibilités d’opposition sont nettement plus importantes chez nous. Nous partons toutefois du principe que les gens s’habitueront à l’image des éoliennes et que le développement prendra de la vitesse en Suisse également. Nous pourrions tout juste atteindre l’objectif de développement de 1,35 TWh pour 2035. Pour l’objectif de développement 2050, de nouveaux projets sont encore nécessaires. Au final, la vitesse d’expansion dépendra fortement des conditions-cadres légales, des mesures de soutien financier et de l’acceptation par la société.

Texte et interview: Marco Leandro Wyss, Communication, Office fédéral de l‘ énergie